Préface "Vibrations du blanc-lumière"
Dans L'Aquarelle de but en blanc de Corinne Izquierdo.
Juin 2017
Vibrations du blanc-lumière
« Alors apparaîtrait dans tout son éclat la pure lumière blanche, celle qui, aperçue ici-bas dans les nuances qui la dispersent, renfermait là-haut, dans son unité indivisée, la diversité indéfinie des rayons multicolores. Alors se révélerait aussi, jusque dans chaque nuance prise isolément, ce que l’œil n’y remarquait pas d’abord, la lumière blanche dont elle participe, l’éclairage commun d’où elle tire sa coloration propre. »
(Henri Bergson, La Pensée et le Mouvant. Essais et conférences, 1934).
Bleu azuréen, ocre, mauve, jade, gris de cendre ou tourterelle, fleur de pêcher, cendre de roses, incarnat, lilas, violine, parme, rose pétale, orange mûre... Multiples couleurs et nuances, éclats ou murmures. Et omniprésence de blancs, symphonie de blancheurs… Crème, blanc de lune, de cire, de craie, blanc lilial, neigeux, ivoire, perle... Les aquarelles de Corinne Izquierdo jouent avec les infimes nuances, leur matière, leur transparence, et avec le blanc - les blancs !
L’artiste privilégie l’instable, l’illimité, l’indéfini. Fluidité de couleurs embuées, imbibées, uligineuses ; coulures, traces de mouillures et d’humidité sur le papier. Couleurs ondoyantes, chatoyantes. Couleurs qui buvardent, croissent dans les lieux humides et où les formes flottent tout en traduisant la sureté et légèreté du geste créateur.... Il n'est pas jusqu'au phénomène du contraste-simultané qui ne s’observe dans ses aquarelles dans la juxtaposition d'une surface légèrement claire posée près d’une surface foncée qui paraît plus claire au point de rencontre, et s'assombrit au fur et à mesure qu'elle s'en éloigne. Corinne Izquierdo se sert du dégradé qui en résulte pour consolider les formes, les sceller, en une légère muraille palpitante, irisée, peuplée d'étincelles. Et ce sont des vibrations même de la lumière, des vapeurs acharnées à ronger les contours. Tout se mêle et se distingue à la fois. Tout est vivant, vibrant, reflets et mouvements.
Et sans cesse, les blancs...
Blanc « du vierge papier que sa blancheur défend » (Mallarmé).
« Si loin
Le blanc
Le signe absent
Dans la débâcle des couleurs
La présence des vides»
(Simon Brest, L’objet des ombres, 1983).
Pour Corinne Izquierdo, blanc des vides de la feuille laissée vierge de peinture, « ajourée » de blancs. Mais blanc élément dynamique, productif, plein, non vide ou manque. Plutôt une « zone de repos »... « Mon cœur se pose là où c’est calme » écrit-elle. Le blanc comme une sorte d’arrêt, de pause, de respiration... Comme dans les psaumes où les blancs entre les versets occupent autant de place, ou presque, que le texte pour laisser la parole au silence. Comme certains silences en musiques.
Le blanc comme absence de couleur, et blanc de la page, mais aussi, dans ses marges, comme lieu de rencontres, reflets, glissements. Blancs purs ou colorés, nuances entremêlées. Blancs qui mettent en valeur la lumière, ses réfractions, faisant surgir des fulgurances, des éclats de couleurs. Blancs qui voyagent, intensifient leur éclat et leur pureté, ou se brouillent, s’estompent, comme évaporés, voilés. Blancs fouettés et crémeux, satinés, opalescents, mobiles, scintillants. Tourbillons, palpitations de clartés tremblantes. Toujours légers. Tous les blancs possibles !
Tout bouge et se mêle tout en se révélant.
Par ces nuances de couleurs, Corinne Izquierdo évoque la beauté des choses simples, authentiques qu’elle dépeint dans leur réalité, mais sublime ; et dont elle saisit pour chacun les effets de lumière, les vibrations, les mouvements.
Ce sont les Ombrelles, le velours mousseux des fleurs, des Pivoines blanches, la Cueillette bohême mêlant fleurs et livres ; le Lavoir d’Ornaisons, l’éclat, les reflets et le frémissement de l’eau ; Les Sylphides m’ont raconté, L’Enveloppe d’écume, L’Écume d’un jour et le tumulte, les brisures des flots, l’explosion de blancs s’écrasant sur un phare, sur le sable, sur les rochers...
Ce sont aussi des portraits : celui du vieux Pêcheur du Sud à la chevelure et barbes blanches, noyés dans une lumière bleue, ou, avec Mia et Voile, des jeunes femmes dénudées, au corps partiellement dissimulé sous des transparences de voiles, révélant leur carnation qui joue avec la luminosité, passe du blanc nacreux le plus éclatant aux nuances brunes, ocreuses, incarnates, ombrées, à la fois sensuelles et candides... ou encore l’enfant à la peau de pêche Calinou, évocation particulière de douceur, de bonheur !
Lecture cocooning, Coin de bibliothèque, L’Ère Gutenberg et les livres dans les rayons de la bibliothèque, et en amoncellement sur la table de travail... Comme autant d’Invitation à la lecture. Dans un fauteuil, près d’une fenêtre ouverte au rideau soulevé par le vent ?
C’est le blanc des murs de l’atelier et de la maison.
C’est la blancheur incandescente et vibrante des voiles des bateaux, des draps, des Drapés au vent du Sud, linge étendu aux fenêtres comme autant de drapeaux. Et des voilages blancs, translucides - "voiles" entre extérieur et intérieur, lieu de passage, medium - qui laissent entrer le souffle de l’air, le soleil et la lumière extérieure, presque éblouissante, d'un blanc minéral, dans les lieux intimes, et les illumine par endroits, tout en réservant des plages d’ombres et de fraîcheur. Derrière le rideau, Souffle... C’est une porte ou fenêtre ouverte sur le jardin, des ouvertures sur la lumière, la blancheur éclatante. Car Corinne Izquierdo fait se joindre l’intérieur, l’intime, et l’extérieur. En rêveuse d’espace ouvert qui invite à l’essor. C’est L’appel du jardin où, par la porte ouverte, la lumière entre dans la pièce ombreuse et invite à sortir.
C’est aussi l’armoire d’un autre temps, ce centre d’où rayonnent l’ordre et la mesure, ce lieu profond et lumineux, lieu de blancheur. Un espace d’intimité, de secret, qui fait naître des images profuses qui sont aussi des souvenirs. L’armoire d’antan, L’armoire d’Annie...
« Elle va jusqu’à la grande armoire, l’ouvre, et une tiède odeur de verveine remplit la pièce. De haut en bas, les planches sont chargées à rompre de linge blanc que le reflet du bois poli par les siècles dore imperceptiblement. » (Georges Bernanos, Mouchette, 1937).
Et l’on admire, dans l’armoire ouverte, son contenu si précieux, et normalement secret, offert à nos regards par l’artiste : cette explosion de blancheurs : blancheur du linge, des dentelles et broderies, des draps et de la nappe blanche. L’armoire mystérieuse et ses « rayons de lune » nous ouvrent les portes de l’irréel :
« L’armoire est pleine de linge
il y a même des rayons de lune que je peux déplier »
(André Breton, « Le Revolver aux cheveux blancs », La Révolution surréaliste, n.°8, 1926).
Et parmi le linge, la nappe blanche, cette « poignée de blancheur » qui se fait ancrage, centre de la maison sur la table. Tache de lumière et de reflets. Évocation d’autrefois, d’un certain bonheur familial, bourgeois, simple, esthétique. Objet de rêverie.
« Et comme la nappe ancienne était blanche, blanche comme la lune d’hiver sur le pré ».
(Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, 1957).
Les aquarelles de Corinne Izquierdo nous donnent les choses à voir, toucher, respirer, entendre, savourer, rêver. Et, en véritable alchimiste, l’artiste transmue la couleur en lumière, en vibrations, en sensations multiples, en sentiments et émotions.
Elle fait remonter des souvenirs... Et l’on se surprend à sentir l’odeur de lavande, de lilas et de roses... On entend le murmure de l’eau ou le mugissement des vagues s’écrasant sur les rochers, le grincement de la grille du jardin, le chant des oiseaux, « le remuement des abeilles » (Yves Bonnefoy)…
Et c'est le sud aussi qui, avec la luminosité, nous entre par tous les pores...
Par le raffinement d’une œuvre toute en nuances, c’est la déclinaison secrète, pudique, et généreuse, d’émotions, d’une intimité, d’une façon de voir le monde qui nous est révélée, offerte : un monde calme, serein d’un temps où l’on prenait le temps, et ce souhait d’un espace vivant mû par des souffles où se déroule la vraie vie. « L’être-au-monde ».
Authenticité d’une expérience de vie, d’une vision du monde. Et d’un discours poétique.
Bonheur devant la beauté de ces "petites choses", la vie tranquille à savourer avec le moment présent...
Le bonheur simple est encore là…
« … Tout respire à nouveau
La nappe est blanche »
(René Cazelles, De terre et d’envolée, 1953).
Annie Mollard-Desfour
Sète, le 23 février 2017
Corinne Izquierdo
Souffle